Chapitre 2
LA CONNAISSANCE TRANSCENDANTALE
Samjaya dit : Le Seigneur Kŗşna prononça
ces paroles à Arjuna ayant les yeux affligés et pleins de larmes, envahit de
compassion et de désespoir.[1]
(2.01)
Le Suprême Seigneur dit : Comment un tel
découragement a-t-il pu s’emparer de toi en ce moment ? Ce n’est pas
convenable pour un Aryen[2]
(ou une personne dont le mental et les actions sont nobles). C’est déshonorant,
et ne conduit pas une personne au ciel, O Arjuna. (2.02)
Ne te laisse pas aller à la couardise, O Arjuna, car cela
ne te convient pas. Chasse cette faiblesse insignifiante de ton cœur et
lèves-toi pour le combat, O Arjuna.[3]
(2.03)
ARJUNA
CONTINUE SON RAISONNEMENT CONTRE LA GUERRE
Arjuna dit : Comment pourrais-je dans le combat
lancer des flèches à Bhīşma et Drona, qui sont dignes de ma
vénération, O Kŗşna ? (2.04)
Vraiment, mieux voudrait vivre dans ce monde d’aumône
plutôt que d’abattre ces nobles gourous[4],
car en les tuant je ferais que profiter des richesses et plaisirs souillées de
sang. (2.05)
Nous ne connaissons pas quel alternatif soit mieux pour
nous, combattre ou quitter. D’ailleurs, nous ne savons pas si nous allons
conquérir ou qu’ils nous conquérront. Nous ne devrions pas, ne fus que
souhaiter, de vivre après avoir tué les fils de Dhrtarâstra qui sont dressés devant nous. (2.06)
Mes sens sont
envahis par la faiblesse de la pitié, et mon mental est confus quant au devoir
(Dharma). Je Te demande de me dire en toute certitude qu’elle est la meilleure.
Je suis Ton disciple. Instruis-moi, qui aie trouvé refuge en toi.[5]
(2.07)
Je ne vois pas
qu’acquérir un royaume sans rival et prospère sur cette terre, ou même la
seigneurie sur les régnants célestes (Devas) dissiperaient la douleur qui
dessèche mes sens. (2.08)
Samjaya
dit : O Roi, après avoir parlé ainsi au Seigneur Kŗşna, le puissant
Arjuna dit à Kŗşna : je ne combattrai pas, et il resta
silencieux. (2.09)
O Roi, le Seigneur Kŗşna, esquissant un
sourire, dit ces paroles à Arjuna découragé au milieu des deux armées.[6]
(2.10)
LES
ENSEIGNEMENTS DE LA GÎTÂ DÉBUTE PAR LA VRAIE CONNAISSANCE DU SOI ET DU CORPS
PHYSIQUE
Le Seigneur Suprême dit : Tu pleures pour ceux qui ne
sont pas dignes d’être lamentés, et pourtant tu prononces des paroles de
sagesse. Le sage ne se lamente ni pour les vivants ni pour les morts.[7]
(2.11)
Il n’y eut
jamais un temps que ces monarques, toi, ou moi cessèrent d’exister, et nous ne
pourrons jamais cesser d’exister dans l’avenir. (2.12)
Tout comme l’entité vivante (Atmâ, Jîva, Jîvâtma) acquiert
l’enfance, un corps jeune, et un corps de vieillesse durant cette vie ; de
même elle acquiert un autre corps après la mort. Le sage n’en est pas troublé.[8]
(Voir aussi 5.08) (2.13)
Les contacts des
sens vers les objets appropriés engendrent la chaleur et le froid, la douleur
et le plaisir. Ils sont transitoires et impermanents. Ainsi, apprends à les
endurer, O Arjuna. (2.14)
Car une personne
calme – qui n’est pas affectée par ces sensations, et est ferme dans la douleur
et le plaisir, se rend digne de l’immortalité, O Arjuna.[9]
(2.15)
LE SOI
EST ETERNEL, LE CORPS EST TRANSITOIRE
L’Esprit invisible (Sat, Atmâ) est éternel, et le monde
visible (y compris le corps physique) est transitoire. La réalité de ces deux est
vraiment perçue par les voyants de la vérité. (2.16)
L’Esprit (Atmâ) par qui tout cet univers est pénétré, est
indestructible. Personne ne sait détruire l’impérissable Esprit. (2.17)
Les corps de l’éternel, immuable, et incompréhensible
Esprit sont périssables. Par conséquent, livre bataille, O Arjuna. (2.18)
Celui qui pense qu’Atmâ (Esprit) peut tuer, et celui qui
pense qu’Atmâ est tué, les deux sont ignorants. Parce qu’Atmâ ne tue ou est
tué. (Un verset parallèle se trouve dans KaU 2.19) (2.19)
L’Esprit (Atmâ) ne naît jamais et ne
meurt jamais en aucun temps. Il ne commence pas d'être, ou ne cesse pas d’exister.
Il est ingénéré, éternel, permanent, et ancien. L’Esprit n’est pas détruit
lorsque le corps est détruit. (Voir aussi KaU 2.18) (2.20)
O Arjuna, comment une personne qui sait que l’Esprit (Atmâ)
est indestructible, éternel, ingénéré, et immuable, tue quelqu’un ou provoque
quelqu’un d’être tué ? (2.21)
LA
MORT ET LA TRANSMIGRATION DE L’ÂME
Tout comme un homme revêt des vêtements neufs après avoir
laissé les anciens ; de même, l’entité vivante (Atmâ, Jîva, Jîvâtma)
acquiert de nouveaux corps après avoir rejeté les vieux corps.[10] (2.22)
Les armes ne peuvent pourfendre cet Esprit (Atmâ), le feu
ne le brûle pas, l’eau ne le mouille pas, et le vent ne le dessèche. L’Atmâ ne
peut être coupé, brûlé, mouillé, ni asséché.
Il est éternel, omniprésent, inchangé, immuable, et ancien. (2.23-24)
L’esprit (Atmâ, le Soi) est dit être inexplicable,
incompréhensible, et immuable. Connaissant cet Esprit comme tel, tu ne devrais
pas t’affliger. (2.25)
Bien que tu penses que cette entité vivante ou corps
prend naissance et meurt perpétuellement, même alors, O Arjuna, tu ne devrais
pas t’affliger ainsi. Car la mort est certaine pour ce qui est né, et la
naissance est certaine pour ce qui meurt. Par conséquent, tu ne devrais pas te
lamenter sur l’inévitable.[11]
(2.26-27)
Tous les êtres, O Arjuna, sont non
manifestés – invisibles aux yeux physiques – avant la naissance et après la
mort. Ils se manifestent seulement entre la naissance et la mort. Y a-t-il là
de quoi s’affliger ?[12]
(2.28)
L’ESPRIT
INDESTRUCTIBLE TRANSCENDE LE MENTAL ET LA PAROLE
Certains voient l’Esprit[13]
comme une merveille, d’autres le décrivent comme merveilleux, d’autres
entendent parler de lui comme d’une merveille. Même après avoir entendu le
concernant, peu de gens le connaît.
(Voir aussi KaU 2.07) (2.29)
O Arjuna, l’Esprit qui demeure dans le corps de tous les
êtres est éternellement indestructible. Par conséquent, tu ne devrais pas
pleurer pour personne. (2.30)
LE
SEIGNEUR KŖŞNA RAPPELLE ARJUNA DE SON DEVOIR COMME GUERRIER
Ayant égard à ton propre devoir en tant que guerrier, tu
ne devrais pas être indécis. Car, il n’y a rien de plus heureux pour un
guerrier qu’une guerre juste. (2.31)
Seulement les guerriers favorisés, O Arjuna, reçoivent
l’opportunité d’une telle guerre non préméditée, qui est comme une porte
ouverte vers le ciel. (2.32)
Si tu ne veux pas combattre cette guerre juste, alors tu
manqueras à ton devoir, tu perdras ta réputation, et tu t’affligeras le péché.
(2.33)
Les hommes raconteront perpétuellement ta disgrâce. Pour
les honorables, le déshonneur est pire que la mort. (2.34)
Les grands guerriers penseront que tu t’es retiré de la
bataille par crainte. Ceux qui t’on hautement estimés, perdront leur respect
pour toi. (2.35)
Tes ennemis prononceront beaucoup de paroles injurieuses
et mépriseront ta capacité. Que peut-il y avoir de plus douloureux ? (2.36)
Tu iras au ciel si tué au combat (répondant au devoir),
ou victorieux tu jouiras du royaume terrestre. Par conséquent, debout donc,
décidé à combattre, O Arjuna. (2.37)
Considérant le plaisir et la
souffrance, le gain et la perte, la victoire et la défaite de la même façon,
engage-toi dans ton devoir. En accomplissant ton devoir, tu ne commettras pas
de péché.[14]
(2.38)
LE
SCIENCE DE KARMA-YOGA, L’ACTION D’DÉSINTÉRESSÉE
La sagesse de la connaissance transcendantale t’a été
transmise, O Arjuna. Maintenant écoute la sagesse de Karma-yoga, le service
désintéressé (Sevā), car en y étant pénétré tu seras libéré des chaînes de
l’action (Karma). (2.39)
Dans le Karma-yoga aucun effort n’est jamais perdu et il
n’y a pas d’effet adverse. Même la moindre pratique de cette discipline protège
l’homme de la grande peur de la naissance et de la mort. (2.40)
Un Karma-yogi tient une détermination résolue vers la
réalisation de Dieu, O Arjuna, mais les désires sont innombrables et diverses
de l’homme qui travaille pour jouir des fruits de son activité. (2.41)
LES
VEDAS TRAITENT L’ASPECT MATÉRIEL ET SPIRITUEL DE LA VIE
Les mal guidé prend plaisir dans le chant mélodieux de la
Véda – sans comprendre le vrai objectif des Védas – réfléchit, O Arjuna, comme
si il n’y a rien d’autre dans les Védas que des rituelles avec la seule raison
d’obtenir les jouissances célestes.
(2.42)
Ils sont dominés par les désirs matériels, et considèrent
l’acquisition céleste comme étant le but le plus élevé de la vie. Ils
s’engagent dans des rites spécifiques pour cause de prospérité et de
jouissance. La renaissance est le résultat de leurs actions.[15]
(Voir aussi KaU 2.05, IsU 09) (2.43)
La détermination résolue de la réalisation du Soi n’est
pas formée dans le mental de ceux qui sont attachés aux plaisirs et au pouvoir,
dont le jugement est obscurci par ces activités ritualistes. (2.44)
Une partie des Vedas traite les trois modes ou états
(Gunas) de la Nature matérielle. Libère-toi des paires d’opposés, restes
toujours équilibré et indifférent à toutes pensées d’acquisition et de
préservation. Lève-toi au-dessus des trois états, en pleine conscience, O
Arjuna. (2.45)
Pour la personne dont le Soi est réalisé les Védas sont
aussi utiles qu’un petit réservoir d’eau lorsque l’eau d’un énorme lac devient
disponible. (2.46)
THÉORIE
ET PRATIQUE DU KARMA-YOGA
Tu as Adhikāra (droit, privilège)
simplement sur tes devoirs respectifs, mais pas de contrôle ou de revendication
sur les résultats. Les fruits du travail ne peuvent pas être ton motif. Tu ne
devrais jamais être inactif.[16]
(2.47)
Accomplis ton devoir le mieux possible,
O Arjuna, par ton mental attaché au Seigneur, abandonnant le souci et
l’attachement intéressé aux résultats, et reste calme dans le succès et
l’échec. L’équanimité du mental est appelée Karma-yoga.[17]
(2.48)
Le travail accompli avec des motifs égoïstes est très
inférieur au service désintéressé ou le Karma-yoga. C’est pourquoi sois un
Karma-yogi, O Arjuna. Ceux qui travaillent pour jouir des fruits de leur labeur
sont vraiment malheureux. (Car l’homme n’a pas de contrôle sur les résultats).
(2.49)
Un Karma-yogi devient dans cette vie
même libéré du vice autant que de la vertu. S’efforcer de travailler le mieux
possible sans être attaché aux fruits du travail est appelé Karma-yoga.[18]
(2.50)
Les Sages Karma-yogis sont libérés des chaînes de la
renaissance en renonçant à l’attachement intéressé aux fruits de tout travail,
pour atteindre ainsi l’état de béatitude divine. (2.51)
Lorsque ton intellect aura complètement franchi le voile
de confusion, alors tu deviendras indifférent aux Écritures que tu connais et à
celles qu’il te reste à connaître. (2.52)
Lorsque ton intellect, rendu confus par les opinions
contradictoires et la doctrine ritualiste des Védas, restera ferme et
inébranlable dans la concentration sur le Suprême Être, ainsi tu atteindras
l’union avec le Suprême Être en état d’extase (Samādhi). (2.53)
Arjuna dit : O Kŗşna, quelles sont les
marques d’une personne illuminée (Sthita-prajna[19])
dont l’intellect est ferme ? Quelle est la façon de parler d’une personne
dotée d’un intellect stable ? Comment une telle personne s’assied et
marche ? (2.54)
LES
MARQUES D’UNE PERSONNE QUI S’EST RÉALISÉE
Le Seigneur Suprême dit : Lorsqu’un être est
complètement libre de tous désirs du mental et est satisfait avec l’Éternel
Être (Brahma) par la joie de l’Éternel Être, ainsi cet homme est appelé un illuminé
(Sthita-prajna), O Arjuna.[20]
(2.55)
Une personne dont le mental est
impassible au chagrin, qui ne sollicite pas les plaisirs, et qui est
complètement libérée de l’attachement, de la peur, et de la colère, est appelée
Sthita-prajna – un sage d’un intellect ferme. (2.56)
Ceux qui n’ont aucun attachement ; qui ne sont pas
transportés dans l’obtention des résultats désirés, ni troublés par des
résultats inopportuns ; leur intellect est considéré comme fermement
établi. (2.57)
Lorsque quelqu’un retire complètement ses sens des objets
de perception comme une tortue retire ses membres dans sa carapace pour se
protéger, alors l’intellect d’une personne est considéré comme fermement
établi. (2.58)
Le désir pour les plaisirs sensuels s’évade lorsque
l’homme s’abstient de jouissance sensuelle, bien que le goût envers la
jouissance sensuelle subsiste. Cette envie disparaît aussi chez la personne qui
a connu le Suprême Être. (2.59)
LE
DANGER DES SENS NON RESTREINTS
Les sens sans repos, O Arjuna,
emportent fortement le mental, même d’une personne sage s’efforçant vers la
perfection. (2.60)
L’homme devrait fixer son mental sur
Moi dans une douce contemplation, après avoir mis les sens sous contrôle. Son
intellect devient fermement établi, lorsque ses sens se trouvent complètement
maîtrisés. (2.61)
L’homme développe l’attachement aux
objets des sens, en pensant à ces objets de sens. Le désir envers les objets de
sens vient de l’attachement aux objets de sens, et la colère vient des désirs
inaccomplis. (2.62)
L’illusion ou les idées sauvages parviennent de la
colère. Le mental est désorienté par l’illusion. Le raisonnement est détruit
lorsque le mental est désorienté. L’homme s’égare du droit chemin lorsque le
raisonnement est détruit.[21]
(2.63)
L’OBTENTION
DE LA PAIX ET DU BONHEUR PAR LE CONTRÔLE DES SENS ET DE LA CONNAISSANCE
Une personne disciplinée, se mouvant parmi les objets des
sens sous contrôle et libérée de tout attachement et de toute aversion, atteint
la tranquillité. (2.64)
Toutes les souffrances sont détruites en atteignant la
tranquillité. L’intellect d’une telle personne tranquille devient vite
complètement ferme et unie à l’Éternel Être (Brahma). (2.65)
Il n’y a pas de connaissance du Soi, ni de perception du
Soi chez ceux qui ne sont pas unis à l’Éternel Être (Brahma). Sans la
perception du Soi il n’y pas de paix, et sans paix il n’y a pas de bonheur.
(2.66)
Le mental, lorsque contrôlé par les
sens vagabonds, emporte l’intellect comme la tempête qui dérive un vaisseau en
mer de sa destination – le rivage spirituel. (2.67)
Par conséquent, O Arjuna, l’intellect d’une personne
devient ferme lorsque les sens sont complètement retirés des objets des sens.
(2.68)
Le yogi, la personne modérée, se tient éveillé lorsqu’il
fait nuit pour les autres. Il fait nuit pour le yogi lorsqu’il voit tous les
autres éveillés.[22] (2.69)
L’homme atteint la paix intérieure don
le mental a dissipé tous les désirs sans créer moindre perturbation mental,
comme l’eau d’une rivière qui se déverse en plein océan sans le perturbé. Celui
qui désire les objets matériels ne trouve jamais la paix. (2.70)
Celui qui abandonne tous désirs, et devient libéré de
tout aspiration et d’émotion quant au « je » et « moi »,
atteint la paix. (2.71)
O Arjuna, ceci est l’état superconscient (Brāhmā). Atteignant cet état, l’homme n’est plus
abusé. Une fois parvenu dans cet état, même à la fin de la vie, la personne
atteint Brahma-nirvāna[23]
(ou, devient un avec l’absolu). (2.72)
Ainsi prend fin le deuxième chapitre intitulé «La Connaissance Transcendantale » dans les
Upanişad de la Bhagavadgītā, l’écriture de yoga, touchant la
science de l’Absolu dans la forme du dialogue entre Srīkŗşna et
Arjuna.
[1] La pitié d’Arjuna n’a rien
de commun avec la compassion du Suprême Absolu. C’est une forme de bienveillance
de soi, le recul de ses nerfs devant un acte qui lui commande de faire du mal à
ses proches. Arjuna se détourne ainsi de son devoir, mais le Seigneur Kŗşna
le désapprouve.
[2] Les Aryens, d’après quelques
uns, sont ceux qui acceptent un type particulier de culture intérieure et de
pratique sociale, qui insistent sur le courage, la courtoisie, la noblesse et
la justice.
[3] Kŗşna essaie de
libérer Arjuna de ses doutes, et rappelle aussi la doctrine de
l’indestructibilité du soi, en appelle à son sentiment de l’honneur et à ses
traditions comme guerrier, lui révélant ainsi le dessein du Suprême Absolu, tout en indiquant comment
l’action doit être entreprise dans ce monde. Voilà pourquoi il y a des âmes qui
sont toujours écrasées, même par des riens (et surtout par des riens) parce que
ces riens sont au-dessus de leurs forces ; et il y en a d’autres qui sont
toujours debout et vaillantes, parce que leurs forces spirituelles sont à la
hauteur de toute épreuve.
[4] Si nous nous représentons
les victimes de toutes les pages sanglantes de l’histoire, si nous entendons
les cris d’hommes, femmes et enfants jusqu’à nos jours, voyons ces mille formes
de destruction, d’oppression et d’injustice. Nul cœur animé de charité humaine
ne peut goûter la joie dans ces conquêtes souillées de sang.
[5] Il est nécessaire que le
monde nous laisse au cœur un grand vide. Ce vide c’est la place du Suprême
Absolu. Arjuna n’est pas poussé seulement par le désespoir, l’anxiété et le
doute, mais aussi par l’ardent désir de certitude. Reposez-vous dans le bien du
Suprême Absolu. Il y a en effet un sommeil qui ne repose pas ; et il y a
un autre sommeil qui opère la détente de l’être. Le sommeil dans le Suprême
Absolu, le sommeil de l’âme qui s’en remet pleinement à Lui de tous ses soucis
et de toutes ses peines, voilà le sommeil qui est repos. Comme Arjuna, le yogi
ou dévot doit comprendre sa misère et son ignorance, et en même temps être
anxieux de faire la volonté du Suprême Absolu, et de découvrir ce qu’elle est.
[6] Le sourire de Kŗşna
indique qu’il perce à jour l’effort de rationalisation d’Arjuna, ce qu’on
appelle aujourd’hui pensée-désir. Mais je ne suis pas abattu parce que je suis
imparfait… et je ne veux pas que tu sois découragée parce que la perfection,
cet oiseau rare, cet oiseau du Suprême Être, s’est encore dérobée à tes
poursuites. Non, pas de découragement, précisément pour continuer ta poursuite.
La perfection de la terre c’est cette poursuite et c’est le courage de la
continuer jusqu’au bout et malgré tout. Je te conseille de sourire à tes
défauts, quand tu les regardes. Je te conseille de sourire à tes qualités, à
tes efforts, à tout ce qu’il y a de bon en toi, et à en remercier le Seigneur Kŗşna
qui t’a tout donné, Dieu Lui-même.
[7] On explique brièvement dans le verset 2.38, la sagesse
de la philosophie du Sānkhya. « Considérant le plaisir
et la souffrance, le gain et la perte, la victoire et la défaite de la même
façon, engages-toi dans ton devoir. En accomplissant ton devoir, tu ne
commettras pas de péché. » (2.38) Le
Sānkhya est un système enseigné par l’avatāra Kapila, qui procède par
l’étude analytique de l’âme spirituelle conçue comme distincte des vingt-quatre
éléments de la nature matérielle. Aussi, système d’analyse purement matériel du
monde phénoménal dans ses diverses manifestations, mis en forme par Kapila.
Sānkhya-yoga est la voie de l’approfondissement du moi spirituel comme
distinct du corps matériel. Il a pour effet d’amener l’être au bhakti yoga
(l’amour pour le Suprême Absolu par le service de dévotion), où il peut alors
s’engager dans les activités spirituelles qui lui sont propres. Le Bhakti yogi
applique l’amour et la dévotion pour le Seigneur, que caractérise l’engagement
une fois purifié, des sens de l’être distinct au service des Sens du
Seigneur. Le silence mystique, il y en a
trois. Le premier est celui des paroles ; le second, celui des
désirs ; le troisième, celui des pensées. Le premier est parfait, le
second est plus que parfait encore, le troisième l’est davantage. Le silence
des paroles sert à acquérir la vertu ; celui des désirs à trouver le
repos ; celui des pensées, à parvenir au recueillement intérieur. C’est au
silence, à l’absence de désirs et de pensées qu’on reconnaît le véritable
silence mystique pendant lequel le Suprême Absolu parle à l’âme, se communique
à elle, et lui enseigne la plus sublime, la plus parfaite des sciences. Voilà,
ce que enseigne la Bhagavad Gîtâ, la pratique par l’abandon de soi au Seigneur
Suprême, le Seigneur Kŗşna, à travers les activités dévotionnelles
que le livre enseigne. Pour finir, Sānkhya
ne se rapporte pas au système de Kapila mais à l’enseignement des Upanishads.
[8] L’être humain se rend capable de l’immortalité en passant par une série
de naissances et de morts. Les changements quant au corps ne signifient pas des
changements de l’âme. Aucune de ces incarnations n’est permanente. La
renaissance est une loi de la nature. Les incarnations semblent essentielles à
l’évolution de l’âme.
[9] La vie éternelle est différente de la survie après la mort, la
réincarnation qui est accordée à tout être incarné. Être sujet au chagrin et à
la douleur, être troublé par les événements matériels, être détourné par eux du
sentier du devoir qu’il faut suivre, indique que nous sommes encore victimes de
l’ignorance.
[10] L’être psychique est le vijnāna
qui sert de base à la triple manifestation en corps (anna), en vie (prāna),
en en mental (manas). Quand le corps
physique disparaît, les gaines vitale et mentale subsistent et sont le véhicule
de l’âme.
[11] Notre existence est brève et la mort est certaine. L’inévitabilité de la
mort ne sait pas justifier le meurtre, le suicide ou la guerre. Nous ne pouvons
pas délibérément désirer la mort des autres sous le prétexte que tous les
hommes doivent mourir. La loi des
renaissances n’encourage pas les meurtres, les massacres et les guerres
inutiles, même si en certaines circonstances afin de préserver la paix et
l’ordre dans la société, l’homme doit faire usage de l’armement militaire.
[12] L’existence du Soi plus
subtil que le corps, les émotions et l’intellect, est une idée difficile à
concevoir pour le « Je suis » (l’ego). L’individu peut, cependant,
atteindre la perfection spirituelle grâce à la pratique de certaines
disciplines et techniques. Une citerne, si profonde soit-elle, se remplit
toujours lorsque le ciel y déverse la pluie, donc qu’il se confie au Suprême
Absolu, en se conformant à ses devoirs dans le détachement, qui se trouve à la
base même de la perfection. Il expérimentera ainsi une merveilleuse extase
au-delà de toutes sensations.
[13] L’Esprit, est ce lieu de repos, le royaume de toutes
perfections et de toutes les beautés spirituelles. Là, une lumière divine
éclaire les mystères de la foi ; là se trouvent l’humanité profonde, la
résignation entière, la pureté, la simplicité, l’innocence de la colombe, la
modestie extérieure, la liberté dans le Seigneur Kŗşna
et la pureté du cœur qui s’en suit. Bien que la vérité du Soi soit libre
d’accès pour l’humanité toute entière, seules les rares âmes y parviennent, qui
consentent à en payer le prix en discipline de soi, persévérance et
renoncement. La vérité est ouverte à tous, mais beaucoup ne ressentent aucune
inclination à la chercher ; et, parmi ceux qui ont l’inclination il y a le
doute et l’hésitation ou qui rebutent à cause des difficultés. Seules les rares
âmes réussissent à braver les obstacles pour parvenir au but.
[14] La lutte doit être
entreprise dans un esprit de sérénité, sans céder au bruyant désir de
changement, d’être à la merci des variations affectives, mais en accomplissant
l’œuvre qui nous est assignée dans la situation où nous sommes appelés.
[15] Le Seigneur Kŗşna distingue le vrai karma
de la piété ritualiste. Les sacrifices du Veda sont destinés comme récompenses
matérielles. La Bhagavad Gîtâ nous propose de renoncer à tout désir et à tout
effort égoïste, et de faire de la vie entière un sacrifice offert avec une
dévotion réelle. Il est bon de choisir un gourou, un maître spirituel qu’on
désire imiter et pour lequel on aura beaucoup de dévotion. Si un gourou veut
avoir un ministère riche en moissons spirituelles, qu’il ne recherche pas la
conduite des âmes, car les âmes viendront à lui au moment opportun. Le
véritable moyen d’agir utilement, c’est de ne pas faire le maître ni de
chercher à le paraître. Peu de paroles et de raisonnements sont nécessaires
pour produire de grands effets, si un maître spirituel souhaite sincèrement que
ses disciples aiment la vertu et que leur amour pour le Suprême Absolu soit pur
et parfait. Sachez aussi, qu’il n’y a pas de meilleur gourou que la Gîtâ. L’âme
en qui naît l’abstraction pourra marcher à sa perte, si elle tombe entre les
mains d’un gourou sans expérience lui conseillant la discipline spirituelle.
Tout cela nous prouve combien, dans la voie mystique et spirituelle, un guide
expérimenté est nécessaire. Pour s’armer conter certains gourou, allez à
l’adresse suivante : http://www.gita-society.com/guru4.htm
[16] Le verset 2.47 bien connu contient le principe essentiel du
désintéressement. Quand nous accomplissons notre tâche, quelle soit comme
paysan ou ouvrier, chanteur ou penseur, nous serons détournés du
désintéressement si nous pensons à la renommée, ou aux revenus ou à toute autre
considération extérieure. Mais rien ne vaut excepté la bonne volonté,
l’accomplissement du dessein de Dieu.
[17] On doit agir avec une sérénité sans égale et dans l’indifférence pour
les résultats. La personne qui agit en vertu d’une loi intérieure est à un
degré plus élevé que celui dont l’action est à la merci de ses fantaisies.
[18] Un Karma yogi s’élève
au-dessus de la morale et de sa distinction entre le bien et le mal ; il
est libéré de l’égoïsme et par conséquent incapable de mal. La Gîtâ yoga est
aussi l’égalité du mental dans le succès ou l’échec, chez lui qui est engagé
dans l’accomplissement de ses devoirs, tandis que son mental demeure en le
Suprême Absolu.
[19] Sthita-prajna :
situation au plus haut niveau de la conscience mentale.
[20] Commentaires sur les versets 2.54 -55. Lorsque l’âme est anéantie,
lorsqu’elle est complètement dépouillée, elle goûte dans son être supérieur une
paix profonde et un délicieux repos, car c’est dans « la Présence »
qu’il demeure. Dans cet heureux état, elle ne veut, elle ne désire que ce que
veut et désire le Seigneur Kŗşna, et c’est dans
cet esprit que l’âme accepte tous les événements, travaux et angoisses, ainsi
que les consolations et les plaisirs. Une âme entrée dans le ciel de la paix se
sent pleine du Suprême Absolu, comblée de dons surnaturels, parce que le pur amour
est son appui, et qu’elle se plaît dans la lumière comme dans les ténèbres,
dans le jour comme dans la nuit, dans l’affliction comme dans la consolation.
[21] Lorsque l’âme est dominée passionnément par les plaisirs de ce monde, sa
mémoire est perdue, son intelligence obscurcie à tout ce qui est normal et
naturel dans le cadre de la création et par conséquent des lois cosmiques, et
l’homme va à sa ruine. Ce qui est nécessaire n’est pas l’isolement forcé du
monde, ni la destruction de la vie sensible, mais une retraite à l’intérieur.
Haïr les sens est aussi critiquable que les aimer.
[22] Quand tous les humains sont attirés par l’éclat des objets des sens, le
sage est concentré dans la réalité. Il est éveillé à la nature du réel, à
l’égard de laquelle le mondain est endormi ou indifférent. L’homme n’est dans
l’illusion que quand il suit ses convoitises ou ses attraits, ses
raisonnements, ses connaissances ou ses affections. Quelle heureuse fortune
pour le yogi ou dévot de pouvoir ce délivrer de la maison de la sensualité mal
dirigée. Le plan des contraires qui est le jour ou l’état d’activité pour le
mondain, est nuit, ténèbres de l’âme, pour le yogi ou dévot.
[23] Brahma-nirvāna, c’est l’extinction de l’ego dans le plus haut Moi
intérieur spirituel ; mieux encore, l’immersion du moi personnel dans
l’existence infinie. L’âme ne saurait parvenir à l’union intime et affective
avec le Suprême Absolu, si le cœur n’est pas net, si les sens ne sont pas
purifiés. Il faut pour y atteindre que la mémoire soit vide, le mental éclairé,
la volonté soumise et ardente, car le Suprême Absolu étant la pureté, la
lumière et le repos même, ne peut accepter que l’âme totalement pure, le savoir
juste, détachée, attentive et paisible. Le nirvana, c’est la libération ultime
de l’âme qui l’unit éternellement au Suprême Absolu, Dieu le Seigneur Kŗşna.